Mais pourquoi en est-on arrivé là, à cette guerre d'une complexité psychologique, économique, géopolitique sans équivalent dans l'histoire moderne qui, jusqu'aux dernières heures de son déclenchement, aurait pu être évitée tant les décideurs politiques, tous camps confondus, étaient si partagés sur la nécessité de son déclenchement ?
On notera avec intérêt, nous Français, la charge de l'auteur à l'égard de Raymond POINCARE, étayée par de nombreux documents et témoignages, qui n'hésitera pas à outrepasser ses prérogatives de Président de la République et à exacerber le sentiment anti-allemand auprès de Nicolas II et à soutenir au-delà de la raison un gouvernement nationaliste serbe coupable d'exactions horribles lors des guerres balkaniques qui avaient précédé de quelques années la première guerre mondiale. Il aura probablement été l'un des pires faucons de l'époque.
Alors que l'Europe était en pleine "belle époque" où foisonnaient les innovations, régnaient les grandes dynasties européennes, au demeurant liées par d'étroits liens de cousinage, l'Europe s'est perdue dans un conflit mondial dont elle ne se remettra jamais totalement, laissant la place du dynamisme à une Amérique triomphante.
Fin de la double monarchie austro-hongrois, pourtant centre européen économique et culturel d'excellence et probablement, contrairement aux idées reçues d'hier et d'aujourd'hui, démocratie respectueuse, plus que toutes autres à l’époque des minorités qui composaient la mosaïque de cet empire central, prise du pouvoir par une dictature marxiste factieuse en Russie, création de la République de Weimar en Allemagne, partage entre les vainqueurs de la guerre de ce qu'il restait de l'empire ottoman réduit à ce que nous connaissons aujourd'hui de la Turquie ... Telles furent les conséquences géopolitiques d'un désastre qui restera avant tout humain.
Peter CLARK termine son livre par un constat terrible, relayé par LE FIGARO en mars 1913, d'un médecin français, le professeur Jacques-Antoine MONPROFIT, spécialiste de la chirurgie de guerre, revenu effaré de sa mission humanitaire en pleine guerre des Balkans : "Les blessures causés par le canon français (vendu aux Etats balkaniques avant la déclaration de la Première guerre mondiale) furent non seulement plus nombreuses, mais encore effroyablement graves, broiement des os, dilacérations des tissus, écrasement du thorax et du crâne".
Si bien que le professeur français Antoine DEPAGE proposa même à l'époque un embargo international sur ces nouvelles armes.
Argument réfuté par la presse nationaliste française qui y voyait au contraire un élément, au demeurant illusoire, de la supériorité française.
Au comprend mieux aussi pourquoi le premier ministre britannique libéral ASQUITH n’hésita pas à parler quelques jours avant le déclenchement de la guerre en août 1914, d’un futur « Armageddon » ou les généraux français et russes d’une probable « guerre d’extermination » voire même de « l’extinction de la civilisation ». Pas moins !
Mais voilà, "Supériorité", "domination", "conquête" : ces mots qui évoquent le machisme étaient à la mode à l'époque où il était de bon ton, comme le rappelle l'auteur, d'abandonner les manières raffinées et féminisées de la haute société pour emprunter celle plus rustre, et parfois plus violente, de la classe populaire.
Et l'auteur d'émettre l'idée si psychologique que la grande guerre ne serait peut-être que l'effervescence d'une crise de la masculinité arrivée à l'époque à son paroxysme ...
Et comme l'histoire ne cesse de bégayer, cela rappelle un homme d'état au pouvoir aujourd’hui, autocrate aux mœurs politiques empruntes d'intimidations à l'égard de ses opposants, de volonté de conquêtes territoriales et de corruption généralisée : j'ai nommé POUTINE !
Au final, ce livre historique de Christopher CLARK (Flammarion), est un formidable document qui compile avec minutie plusieurs années de recherche sur un sujet qui plus de 100 ans après sa survenance prête toujours à interprétation. Un ouvrage historique comme probablement il en sort un tous les 10 ans !
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